JEANNE RONDEAU-DUCHARME: LE QUÉBEC EN PRENANT SON TEMPS | ÉDITIONS CARDINAL
- Magazine Ligne
- 2 juil.
- 5 min de lecture
VOYAGER COMME ON EN A BESOIN
INTERLIGNE | À LIRE | JUILLET 2025
Texte | Dave Richard
Photos | Christophe Roberge

Le 22 juin dernier, les Jardins de Métis accueillaient le lancement du premier livre de Jeanne Rondeau-Ducharme, Le Québec en prenant son temps, dans l’atmosphère apaisante et lumineuse du Grand hall. Photographe et créatrice de contenu connue sous le pseudonyme @jeannemap, elle y présentait son projet singulier, né d’un profond désir de repenser notre manière de voyager. Accompagnée de la communicatrice Nadia Ross, la créatrice a partagé avec le public une vision du tourisme qui rompt avec la rapidité, l’hyperconnexion et la logique de performance. Nous avons également pu discuter avec elle.
Suivie par plus de 80 000 personnes sur Instagram, Jeanne y partage depuis plusieurs années ses escapades à travers le Québec et ailleurs. Ses photos délicates, son souci du détail et son attachement au territoire en ont fait une figure incontournable du tourisme local et du slow travel.

Édité par Cardinal Éditions, Le Québec en prenant son temps s’inscrit dans la continuité de cette démarche en la développant davantage. Cet ouvrage de 256 pages croise photographies poétiques, coups de cœur régionaux, bonnes adresses et pensées personnelles. Moins un guide qu’un manifeste discret, il témoigne d’une quête de sens, à la fois professionnelle et intime, et d’un besoin de ralentir pour mieux habiter le monde.

Si les réseaux sociaux lui offrent un espace d’échange immédiat, l’écriture du livre l’a amenée à explorer un tout autre rythme. Lenteur, solitude, doute, silence : le processus a exigé de Jeanne une présence et une confiance nouvelles. C’est dans cet espace étiré qu’elle a pu approfondir sa démarche et donner un sens aux mots qui définissent véritablement le voyage.


« Créer pour les réseaux sociaux nous enferme dans une boucle de rétroaction très rapide », explique-t-elle. « Les mentions j’aime, les commentaires, les partages… tout arrive presque instantanément. Ça devient un moteur très fort, parfois même une boussole. Pour ce projet-là, j’avais envie de sortir du cycle, de me faire confiance, de réfléchir autrement, sans chercher à plaire tout de suite. »
Mais l’écriture d’un livre exige autre chose. Elle a dû faire preuve de patience, travailler dans le calme et accepter l’incertitude. Malgré sa volonté de préserver une certaine indépendance face aux réactions numériques, elle admet que ce fut un défi.

Initialement prévu pour 2024, Le Québec en prenant son temps a été reporté d’un an. Ce délai lui a permis de dépasser le simple guide de bonnes adresses qu’on attendait d’elle et de pousser plus loin sa pensée en évolution. Elle a décidé de rencontrer des spécialistes, de confirmer ses impressions, de transformer un projet d’inventaire en une démarche intime. Elle souhaitait que son livre soit utile et qu’il offre une forme de recul sur notre manière de voyager, sans donner de leçons, mais en ouvrant des pistes.



Ce que Jeanne remet en question, c’est l’idée d’un voyage performant, bien rempli, mesuré au nombre de lieux vus ou photographiés. Elle propose plutôt de renverser cette perspective. De se demander, avant même de planifier, ce qui nous ferait du bien : de la détente, du calme, un léger dépaysement, une immersion ou une rencontre. Voyager comme on en a besoin : voilà le vrai luxe.
« Trop souvent, on planifie des voyages exigeants alors qu’on est déjà épuisé. On rêve simplement de calme, mais on se programme un roadtrip chargé ou une semaine de randonnée, et on revient plus fatigué qu’on est parti. Ce n’est pas toujours le voyage spectaculaire qui nous fait du bien. Parfois, on a juste besoin de changer de décor, de s’écraser dans un bel hébergement, de marcher un peu, de lire, de ne rien faire. L’expérience, c’est parfois simplement de s’installer quelque part et d’y être vraiment. Ce week-end, par exemple, je n’ai peut-être pas exploré toute la Gaspésie, mais je reviendrai. Il y a des lieux comme Repère Boréal où l’on est bien juste en étant là. »


Naturellement, cette manière de concevoir le voyage repose sur une connaissance profonde du Québec. Jeanne a sillonné ses régions pendant plusieurs années, notamment dans le cadre d’un mandat pour Tourisme Québec. Elle a développé la capacité de dépasser les clichés saisissants et d’apprécier une beauté plus subtile, plus authentique, qui ne s’impose pas nécessairement d’emblée.
Elle évoque la Côte-Nord, par exemple, comme une route bordée de conifères, de paysages arides et de petits fruits sauvages — une nature « pas flash », mais d’une poésie certaine. Elle souligne que cette beauté demande de la disponibilité, une attention soutenue et un regard curieux. Ce n’est pas une nature qui se donne facilement, mais qui se révèle lentement à qui prend le temps de la contempler.
Cette idée du temps nécessaire pour s’adapter à une nouvelle situation se prolonge dans la réflexion sur le tourisme responsable. Selon Jeanne, on ne devient pas un voyageur attentif du jour au lendemain. Il est essentiel d’adopter, dans sa vie quotidienne, des comportements alignés avec ses valeurs, une forme de cohérence et de conscience : être attentif à son rapport aux écrans, à l’environnement, au rythme qu’on impose à ses journées. Parce qu’au fond, si l’on ne parvient pas à se déconnecter au quotidien, il sera difficile de le faire en voyage.


Elle insiste : la transformation du tourisme ne passera pas uniquement par des choix logistiques, mais par un recentrage sur l’essentiel. Il est crucial d’apprendre à ralentir pour mieux ressentir. C’est là que le livre lance une idée surprenante, presque taboue aujourd’hui : celle de réhabiliter l’ennui.
« Ne rien faire, c’est précieux. On peut simplement se poser sur les berges du fleuve, ne rien écouter, ne rien publier. Et ça peut être ça. Et cela peut constituer une fin en soi, qui suffit amplement. »
Pour l’autrice, c’est dans ces moments de silence, sans programme ni attente, que l’on parvient à vraiment être là. Ce regard va à l’encontre de la culture de la performance, même en vacances. Son livre ne cherche jamais à imposer une méthode. Jeanne ne donne pas de leçons ; elle guide. Elle avance, elle aussi, avec ses contradictions, ses tentatives, ses tâtonnements. Elle ne prétend pas avoir tout compris — et c’est justement ce qui rend son regard si précieux.

« Je suis loin d’être parfaite. J’ai moi-même de la difficulté à me déconnecter. Ce livre n’est pas un guide pratique. Il s’agit plutôt d’une incitation, d’une orientation et d’un espace pour réfléchir. »
Avec Le Québec en prenant son temps, Jeanne Rondeau-Ducharme nous propose bien plus qu’un ouvrage sur les paysages et l’hébergement du Québec. Elle nous incite à faire de la lenteur en voyage un acte conscient. À regarder le territoire comme on regarde un être cher : avec douceur, curiosité et présence.

* Cet article a été rendu possible par les Jardins de Métis. L'entretien avec Jeanne Rondeau-Ducharme a été réalisée lors d'un séjour de presse à la Maison d'Ariane, une résidence d'artistes située à Métis-sur-Mer.
LE QUÉBEC EN PRENANT SON TEMPS
Jeanne Rondeau-Ducharme
Aux Éditions Cardinal
256 pages
34,95$
Sur Instagram @editionscardinal
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JEANNE RONDEAU-DUCHARME
Sur Instagram @jeannemap
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