RETOUR À L'ESSENTIEL
LIGNE 07 | ÉDITORIAL | HIVER 2022
Texte | Dave Richard
Photo | Kaboompics
Nos grands-mères étaient sincères quand elles disaient être trop pauvres pour acheter bas de gamme. Elles avaient compris que la qualité a un prix et que la durabilité s’avère en général, avec le temps, l’option la plus économique. Ça semble si simple. Nos grands-mères n’avaient pas non plus tendance à gaspiller. Elles réparaient, repeignaient, raccommodaient, repassaient, reteignaient, récupéraient, réchauffaient, prêtaient, empruntaient, échangeaient, troquaient, conservaient, donnaient, léguaient… Elles payaient comptant avec de l’argent qu’elles avaient. Elles achetaient local. Ça paraît logique. Pourtant, plusieurs de ces bonnes habitudes, plusieurs de ces mœurs responsables, comme la restreinte volontaire, le souci de chérir, le désir de partager et de transmettre, se sont perdues au fil des ans, au profit de l’industrialisation, de la production de masse, des modes, de l’accès facile au crédit, de l’obsolescence programmée. Les courants étaient puissants, tout le monde s’y est laissé prendre d’une manière ou d’une autre, nos grands-mères avec.
La mienne n’était ni riche ni pauvre. Chaque printemps et chaque automne, elle faisait son grand ménage. Elle entretenait sa maison avec ardeur. Elle sortait la coutellerie d’argent, les verres en cristal et le service à thé en porcelaine de Chine et les lavait, les frottait et les astiquait avant de les retourner dans le haut des armoires de la cuisine, toujours propre. Pour être franc, il ne s’agissait peut-être pas d’argent, ni de cristal, et la porcelaine n’était probablement pas importée de Chine, mais ce qui me touche, c’est que ma grand-mère les traitait comme tels. Je l’ai vue recouvrir elle-même ses canapés fatigués de tissu flambant neuf, armée de son agrafeuse et de sa machine à coudre. Je l’ai vue sabler les meubles de sa salle à manger pour les repeindre avec soin plus d’une fois, et ils lui ont survécu.
Dernièrement, j’ai récupéré son hachoir à viande en fonte, une antiquité. Je trouve formidable que cet objet de son quotidien, sans grande valeur sur le marché, mais qui lui a servi à nourrir toute notre famille durant des générations, se retrouve chez moi, imprégné de cette histoire et en parfait état. Ça m’émeut et me donne à réfléchir.
Surtout que plusieurs des entreprises avec lesquelles nous nous sommes entretenus ces derniers mois nous ont parlé de leur mission allant en ce sens, relevant en quelque sorte d’un retour en arrière. On nous a maintes fois mentionné qu’une part grandissante de la clientèle renouait maintenant avec des valeurs responsables comme la qualité, la durabilité et le respect de l’environnement, plutôt que de simplement se soucier du prix d’un produit. On s’en doutait, mais c’était réjouissant qu’on nous le confirme.
Par exemple, animé par un sincère souci de qualité et du détail, Antoine Carignan-Turcotte, de l’Atelier Speakeasy, a choisi d’opter pour un mode de conception et de fabrication à échelle humaine, quitte à devoir garder sa production slow et artisanale. Chez Stûv, on a fait de poêles et de foyers, autrefois purement fonctionnels, des objets de beauté contemporains, sobres et épurés, permettant d’ajouter une dimension émotive à l’expérience de chauffage. Quant à elle, l’entreprise Doyle optométristes & opticiens a entamé ces dernières années une refonte physique de ses boutiques à travers le Québec afin de revoir en profondeur leur concept pour remettre le savoir-faire au cœur de l’expérience client. Finalement, quand Lorène Copinet, l’une de nos fidèles collaboratrices, nous a proposé de publier son court récit de fiction Voyage à Mamanek, où son héroïne Jeanne part à la conquête d’une île rêvée où l’écoresponsabilité serait reine, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire qu’il y avait quelque chose de symétrique dans tout ça, quelque chose comme les vrais signes d’une révolution responsable, d’un retour à l’essentiel – au risque de paraître naïf.
Et vous, constatez-vous que vos habitudes changent depuis quelque temps ? Remarquez-vous que vous consommez autrement, de façon plus judicieuse ? Au nom des membres de la petite famille de Ligne, je vous fais tous nos meilleurs vœux pour le temps des Fêtes. Que 2023 vous permette de connecter davantage avec ceux que vous aimez et ce qui vous passionne. Qu’elle vous permette de ralentir, de mieux voir, de mieux ressentir et de mieux comprendre la préciosité de la vie et du monde, de ce qui est là, tout autour. Qu’elle fasse naître en vous des projets stimulants, comme des points de fuite vers lesquels tendre. Qu’elle soit signifiante et positive.
Bon hiver et bonne lecture,
Dave Richard | Éditeur
| et toute l’équipe de Ligne
DAVE RICHARD
Dave Richard a fondé les Éditions de la Diagonale qui publient le magazine Ligne depuis 2020. Il est aussi rédacteur, traducteur, adaptateur pour le doublage de télévision et de cinéma et parolier (oui, oui).
Sur Instagram @daverichard.editeur
Comments